La responsabilité précontractuelle : tout se dire avant et s’arrêter à temps !

La responsabilité précontractuelle : tout se dire avant et s’arrêter à temps !

Rappelez-vous : dans notre Newsletter d’avril 2023, nous vous présentions un article intitulé  « Pas encore fiancés et déjà mariés…  ». Il y était question de la rupture des négociations précontractuelles quand un « accord de principe » avait été conclu.

Rappelez-vous : nous vous conseillions d’être attentif, dès le premier jour des discussions, à ce que vous disiez…

Mais qu’en est-il en l’absence d’un accord de principe, quand l’intention de s’engager au terme de négociations n’est pas nécessairement présente ? Peut-on rompre sans aucune conséquence ces négociations ?

Examinons de plus près cette question.

  • Petit rappel : qu’est-ce qu’un accord de principe ?

Selon les cours et tribunaux[1], l’accord de principe est un engagement contractuel de faire une offre ou de poursuivre une négociation en cours afin d’aboutir à la conclusion d’un contrat, contrat dont le contenu n’est encore déterminé que de façon partielle et insuffisante pour qu’il puisse être considéré comme un contrat en bonne et due forme.

Dit autrement, l’existence d’un accord de principe peut être retenue lorsque les parties en négociations acceptent d’être liées contractuellement alors même qu’elles n’ont pas encore fixé les termes du contrat à venir. Peu importe les conditions restant à discuter, elles s’engagent – dès que les conditions essentielles du contrat à venir ont été définies – à le conclure, sous peine, pour la partie qui se refuserait de le formaliser pour des motifs injustifiés, d’engager sa responsabilité contractuelle.

  • Et en l’absence d’un accord de principe, que se passe-t-il ?

Peut-on déduire qu’à défaut d’accord de principe pendant les négociations, il peut être mis fin aux négociations sans autre forme de procès et donc, sans aucune conséquence, sur le plan juridique, pour la partie qui rompt les négociations ?

La réponse est négative. Tout comme le requiert l’exécution d’un contrat au terme de négociations abouties, la bonne foi et la loyauté sont de mise : à défaut, on peut engager sa responsabilité avant même que le contrat soit conclu.

Le Nouveau Code civil (nouveau Livre V en vigueur depuis le 1er janvier 2023) confirme ce principe et le consacre. Ainsi, l’article 5.17 du Code civil énonce :

« Les parties peuvent engager leur responsabilité extracontractuelle l’une envers l’autre pendant les négociations précontractuelles.

En cas de rupture fautive des négociations, cette responsabilité implique que la personne lésée soit remise dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée s’il n’y avait pas eu de négociations. Lorsque la confiance légitime que le contrat serait sans aucun doute conclu a été suscitée, cette responsabilité peut impliquer la réparation de la perte des avantages nets attendus du contrat non conclu.

Outre la responsabilité précontractuelle, la violation d’un devoir d’information peut conduire à la nullité du contrat s’il est satisfait aux exigences prévues à l’article 5.33.»

Confirmant la jurisprudence antérieure des cours et tribunaux, le législateur pose au travers ce texte, trois grands principes :

  • Le premier, inscrit dans le premier alinéa, consacre le principe de la responsabilité extracontractuelle (puisque, par hypothèse, il n’y a pas encore de contrat) pendant les négociations : si, durant cette phase, une partie subit un dommage du fait d’une autre partie, par exemple, en cas de rupture fautive des négociations ou de violation d’un devoir d’information[2], cette autre partie (à l’origine de ce dommage) devra le réparer.
  • Le second alinéa vise l’hypothèse de la rupture fautive des négociations : si une partie ayant pris part aux négociations les rompt abusivement ou brutalement en marge de la loyauté et de la bonne foi, elle devra indemniser la partie lésée et la replacer dans la situation où elle se trouvait avant les négociations.
  • Le troisième alinéa concerne la violation du devoir d’information qui s’impose aux parties avant la conclusion du contrat ; il prévoit que si l’une des parties a manqué à ce devoir et que, par ce fait, l’autre partie se trouve lésée, deux conséquences peuvent en résulter :
    • Le contrat peut être annulé,
    • La partie lésée peut en outre obtenir la réparation de son dommage à charge de celle qui ne l’a pas adéquatement informée.

Deux questions relatives à la responsabilité précontractuelle seront abordées ci-après : quelle sanction réserver à la partie qui a fautivement rompu les négociations empêchant ainsi que le contrat puisse être conclu (cf. alinéas 1 et 2 de l’article 5.17 du code civil) et quel sort réserver au contrat qui a été conclu en violation du devoir d’information précontractuel (cf. alinéa 3 du même article) ?

I. La sanction des négociations rompues fautivement

  • Qu’est-ce qu’une rupture fautive des négociations ?

L’existence de normes de bon comportement pendant la phase précontractuelle est reconnue de longue date par la littérature juridique et la jurisprudence. Ces normes imposent aux parties d’agir de bonne foi, ce qui induit : loyauté, information adéquate, collaboration et discrétion.[3]

Ce sont les cours et tribunaux qui, au fil du temps et au cas par cas, ont déterminé ce qui, dans le comportement d’une partie qui rompt les négociations, était ou n’était pas contraire à la bonne foi….

Ainsi, dans une affaire relative à la rupture de négociations d’une procédure d’acquisition de titres de société, la Cour d’appel de Bruxelles a rappelé qu’il appartient à chacun de décider librement s’il entend conclure ou ne pas conclure un contrat, avec pour conséquence que, à tout moment et jusqu’à ce que les consentements des parties se soient rencontrés, chacune d’entre elles peut en principe rompre les négociations sans engager sa responsabilité. La liberté des parties en négociation n’est toutefois pas absolue, le principe de l’autonomie de la volonté doit se conjuguer avec l’exigence de bonne foi.

Par conséquent, le droit de rompre la négociation à tout moment doit être mis en balance avec le devoir général de prudence qui implique que certaines ruptures considérées abusives et intempestives peuvent donner lieu à une indemnisation. Le fait que les négociations soient arrivées à un stade avancé ne rend pas en lui-même la rupture fautive[4].

La même idée a été traduite par la Cour d’appel de Liège dans un arrêt relatif à une contestation de factures portant sur la fabrication de vérandas et la tenue concomitante de pourparlers liés à l’élaboration d’un nouveau tarif de facturation. La Cour rappelle que la phase précontractuelle « oblige les parties à la bonne foi dans la conduite des pourparlers ». Si des fautes ont été commises pendant la période des pourparlers qui a conduit à la conclusion d’un contrat, ces fautes sont, soit des « culpa in contrahendo » (c’est-à-dire des fautes commises alors qu’on est sur le point de contracter), soit des dissimulations et leur effet est la nullité de la convention.[5]

Nous reviendrons sur cette notion de dissimulation et ses effets dans la seconde partie de cet article.

Mais avant, retenons que la liberté de négocier doit être mise en parallèle avec l’exigence de bonne foi. Ce principe est désormais consacré dans le texte de l’article 5.15 du Code civil en ces termes :

« Les parties sont libres d’entamer, de mener et de rompre des négociations précontractuelles. Elles agissent à cet égard conformément aux exigences de la bonne foi ».

A défaut de respect de cette exigence de bonne foi, une rupture des négociations pourrait être considérée comme fautive et à ce titre, sanctionnée.

  • Quelle est la sanction à appliquer en cas de rupture fautive des négociations, également appelée « culpa in contrahendo » ?

Cette question a été longtemps controversée.

S’il n’y a jamais eu de doute sur le fait que la partie lésée devait être indemnisée, la question de savoir ce que la partie en faute devait indemniser a fait couler de l’encre. S’agissait-il :

  • Uniquement des coûts et frais consentis en pure perte pendant la négociation (c’est-à-dire « l’intérêt négatif ») ? ou
  • De ces coûts et frais ainsi que du bénéfice attendu du contrat s’il avait été conclu (« l’intérêt positif ») ?

La littérature juridique était généralement réticente à admettre l’indemnisation de l’intérêt positif sauf si la partie lésée par la rupture des négociations pouvait démontrer – avec un degré raisonnable de certitude[6] – que si la faute n’avait pas été commise, le contrat aurait été conclu.

Lorsqu’elle parvenait à faire cette démonstration, la partie lésée était indemnisée par référence à la théorie de la perte d’une chance : son dommage était fixé proportionnellement au pourcentage de chances qu’elle avait perdues de conclure le contrat[7], exercice difficile s’il en est.

Avec l’entrée en vigueur de cet article 5.17 du Code civil, le législateur clarifie la question de l’indemnisation. Il énonce que la victime sera indemnisée « en la replaçant dans la situation où elle se serait trouvée s’il y n’y avait pas eu de négociation » : donc, en principe, seul l’intérêt contractuel négatif peut être réparé.

Toutefois, lorsque « la confiance légitime que le contrat serait sans aucun doute conclu a été suscitée », l’intérêt contractuel positif pourra également être réparé.

Dit autrement, la partie en faute pourrait être contrainte à indemniser la partie lésée, non plus de sa seule perte de chance de conclure le contrat, mais aussi, selon l’article 5.17 alinéa 2 du Code civil, de la « perte des avantages nets attendus du contrat non conclu ».

Les termes « avantage nets » signifient qu’il y aurait lieu de déduire du chiffre d’affaires espéré (si le contrat avait été conclu), les dépenses qui auraient été nécessairement engendrées lors de l’exécution du contrat.

Par ailleurs, seuls les dommages ayant un lien de causalité avec la rupture fautive des négociations entrent en considération pour l’indemnisation.

Par exemple, la réparation de l’intérêt négatif inclut les frais engagés devenus inutiles et la perte de l’opportunité de conclure un contrat avec un tiers. En revanche, des dépenses qui auraient été exposées en toute hypothèse n’entrent pas en ligne de compte pour l’indemnisation[8].

Parmi les frais engagés devenus inutiles, on peut citer les frais d’avocat exposés par la partie lésée durant la négociation pour la conseiller.

II. Le sort du contrat conclu en violation du devoir d’information précontractuelle

Le plus souvent, le manquement au devoir d’information est découvert alors que le contrat a déjà été conclu.

La question qui vient dès lors à l’esprit est : quel sort réserver à un contrat qui a été conclu en violation du devoir d’information précontractuel ?

Le principe est énoncé dans l’article 5.17 alinéa 3 du Code civil : « Outre la responsabilité précontractuelle, la violation d’un devoir d’information peut conduire à la nullité du contrat s’il est satisfait aux exigences prévues à l’article 5.33  (relatif aux vices du consentement) ».

En d’autres termes, la partie lésée par cette violation peut demander en justice l’annulation du contrat si son consentement a été « vicié ».

Deux hypothèses sont envisagées : soit le contrat a été conclu et ensuite annulé, soit le contrat a été conclu et est maintenu malgré la faute précontractuelle.

Avant d’examiner ses deux hypothèses, il convient de s’interroger sur ce qu’est le devoir d’information qui s’impose aux parties pendant les négociations.

  • De quel devoir d’information s’agit-il ?

Le devoir d’information auxquelles les parties sont tenues pendant la phase de négociation est inscrit dans l’article 5.16 du Code civil : « Les parties se fournissent pendant les négociations précontractuelles les informations que la loi, la bonne foi et les usages leur imposent de donner, eu égard à la qualité des parties, à leurs attentes raisonnables et à l’objet du contrat. ».

Il n’existe donc pas de devoir général d’information durant les négociations. C’est uniquement lorsque la loi, la bonne foi et les usages l’imposent que les parties seront tenues par un devoir d’information pendant la phase précontractuelle.

Lorsque ce devoir se fonde sur la loi ou les usages, son étendue est fixée dans ces derniers. De nombreuses règles légales particulières imposent à ce titre aux parties négociantes la communication de certaines informations sous peine de sanction en cas de non-respect.

C’est le cas, par exemple, du Code de droit économique qui, depuis 2014, fixe les contours des informations que les entreprises doivent fournir dans leurs relations avec les consommateurs (B2C) et entre entreprises (B2B) ainsi que dans le cadre de partenariats commerciaux.

Par contre s’il se fonde sur la bonne foi, l’article 5.16 du Code civil considère que, pour déterminer l’étendue de ce devoir d’information, il faut tenir compte de la qualité des parties (professionnel ou non), de leurs attentes et de l’objet du contrat projeté. La littérature juridique ajoute à cette obligation d’information durant les négociations l’obligation qu’à le cocontractant de se renseigner par lui-même.

  • Quel sort réserver au contrat en cas de violation du devoir d’information précontractuel ?

Lorsque le contrat est formé et qu’une partie découvre que l’autre partie n’a pas communiqué l’ensemble des informations qu’elle devait communiquer, que peut faire la partie lésée ?

C’est dans l’alinéa 3 de l’article 5.17 du Code civil cité ci-dessus que la question trouve réponse.

Dans cette hypothèse, deux possibilités s’offrent à la partie lésée :

  • Soit elle demande en justice la nullité du contrat pour autant que soient remplis les conditions des vices du consentement.

Ces vices sont l’erreur, le dol, la violence et l’abus de circonstances.

Ainsi, si le contrat a été conclu – par exemple – en raison de manœuvres dolosives (i.e. le fait de taire intentionnellement certaines informations qui devaient être communiquées ou le fait de communiquer des informations que le cocontractant sait incorrectes), la partie lésée peut demander l’annulation du contrat.

Si cette annulation n’est pas suffisante pour réparer son préjudice, la responsabilité précontractuelle peut être invoquée et permettre l’octroi de dommages et intérêts complémentaires.

  • Soit les conditions des vices du consentement ne sont pas remplies ou la partie lésée, par convenance, préfère maintenir le contrat et renoncer à la nullité.

Dans cette hypothèse, la réparation se concrétisera par l’attribution de dommages et intérêts.

III. En conclusion

Il importe, durant les négociations qui précèdent la conclusion d’un contrat :

  1. D’être attentif à ce qu’on dit,
  2. De penser à ce qu’on doit dire,
  3. De le dire au bon moment (et non à contretemps),
  4. De ne pas dire ce qui pourrait laisser croire qu’on n’y croit pas vraiment, et
  5. De ne pas continuer à dire qu’on va conclure alors qu’on sait déjà qu’on ne conclura pas !

[1] Cour d’appel Luxembourg, 4e ch., 21 mai 2014, DAOR, 2017/1, n° 121, p.79-85 ; Comm. Bruxelles (13e ch.), 24 juin 1985, J.T. 1986, p.236.

[2] Exposé des motifs de l’avant-projet de loi approuvé le 30 mars 2018 par le Conseil des Ministres et portant la création d’un Code civil et y insérant une livre V « les obligations », p. 33.

[3] D. Leclercq, « II – La problématique de l’information de l’acheteur au cours de la phase précontractuelle » in Les conventions de cession d’actions, 2e édition, Bruxelles, Larcier, 2017, p. 63; L. Cornelis, « La responsabilité précontractuelle, conséquence éventuelle du processus précontractuel », R.G.D.C., 1990, p. 400, n° 8; Ph. Marchandise, « La libre négociation – Droits et obligations des négociateurs », J.T., 1987, p. 622-624, nos 14-23; P. Van Ommeslaghe, « L’exécution de bonne foi, principe général de droit? », R.G.D.C, 1987, p. 105, n° 11; P. Wéry, Droit des obligations, vol. 1, Bruxelles, Larcier, p. 352-353, n° 359.

[4] Cour d’appel de Bruxelles, 01/04/2022, RPS-TRV, 2023/5, p. 365-369 ;

[5] Liège, 24 avril 2007, Entr. et dr., 2008, p. 280.

[6] Cf. article 8.5 du Code civil.- Règle générale – preuve certaine : « Hormis les cas où la loi en dispose autrement, la preuve doit être rapportée avec un degré raisonnable de certitude. »

[7] Voy à ce sujet, Fr. Vandermeersch, « La formation dynamique du contrat », in Le nouveau droit des obligations, CUP, vol. 216, p. 82, nos 14 et 15.

[8] Cf. Exposé des motifs de l’article 5.17 du Code civil (Proposition de loi portant le Livre 5 « Les obligations” du Code civil).

Rédaction