Bar ou maison close : assurer l’un ou l’autre, ce n’est pas la même chose !

Bar ou maison close : assurer l’un ou l’autre, ce n’est pas la même chose !
  • Couverture d’assurances

Cette question plutôt cocasse fut récemment au cœur d’un débat judiciaire en droit des assurances : assurer un bar ou une maison close contre le risque d’incendie, ce n’est pas la même chose !

Derrière cette question se cache une autre, plus sérieuse : celle de la sincérité et de la loyauté dont un assuré doit faire preuve envers son assureur.

L’arrêt de la Cour de cassation du 21 octobre 2021

Le 21 octobre 2021, la Cour de cassation, saisie d’un pourvoi dirigé contre un arrêt de  la Cour d’appel de Bruxelles du 14 mai 2021, s’est prononcée sur le sujet en rappelant que :

« Conformément à l’article 26, § 1er, alinéa 1 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d’assurance terrestre (actuellement, article 81, § 1er, alinéa 1 de la loi du 4 avril 2014), le preneur d’assurance a l’obligation de déclarer, en cours de contrat, dans les conditions de l’article 5 (article 58 de la loi de 2014), les circonstances nouvelles ou les modifications de circonstance qui sont de nature à entraîner une aggravation sensible et durable du risque de survenance de l’événement assuré ».

Elle ajoute à ce principe qu’« Il s’ensuit que le preneur d’assurance a l’obligation d’informer spontanément, complètement et correctement l’assureur des circonstances envisagées et [que] l’assureur n’est, en règle générale, pas tenu de les vérifier ».

Cet arrêt est l’aboutissement d’un litige opposant un assuré (M.S.) à son assureur incendie en raison de l’inexactitude entachant, selon ce dernier, la description du risque à assurer (un immeuble de commerce) faite par le bureau de courtage de M.S., à la suite d’un changement d’affectation du bien concerné.

Plus précisément :

  • Le courtier avait déclaré à l’assureur que les locaux assurés avaient été reloués en tant que « café (bar) » ;
  • Il avait décrit ce changement d’affectation du bien loué en termes très généraux et très vagues ;
  • En agissant de la sorte, la société de courtage avait, selon la Cour d’appel de Bruxelles, délibérément induit la compagnie d’assurances en erreur ;
  • Cette compagnie avait dès lors pu légitimement en déduire que les locaux avaient été reloués pour l’exercice d’une activité commerciale dans le secteur de la restauration ;
  • Or, le bâtiment abritait, en fait, l’exploitation d’une maison close (ou « club privé ») avec location de chambres, ce que le courtier n’ignorait pas, mais avait caché à l’assureur, sachant qu’une information sincère et complète concernant l’activité réelle aurait constitué un obstacle majeur à l’obtention d’une couverture d’assurance incendie.

La Cour de cassation a dès lors rejeté le pourvoi dirigé contre l’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles en considérant que les juges d’appel qui, pour les motifs exposés ci-avant, avaient jugé que la compagnie d’assurance n’avait pas d’obligation d’enquêter sur les déclarations relatives à la destination du bien, avaient adéquatement justifié leur décision et ce conformément à la loi.

Quel(s) enseignement(s) peut-on retirer de cet arrêt ?

Si la question de la licéité du risque n’échappe pas au lecteur (un assureur peut-il couvrir contre le risque d’incendie un immeuble dans lequel est exercée une activité contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs ou doit-il toujours refuser cette couverture), ce n’est pourtant pas sur cette problématique que la Cour de cassation s’est penchée.

L’arrêt  concerne, d’une part, l’obligation du preneur d’assurance de déclarer à son assureur en cours de contrat toute aggravation du risque et, d’autre part, l’absence d’obligation pour l’assureur de vérifier les déclarations qui lui sont faites.

Dans les lignes qui suivent, seule l’obligation du preneur d’assurance de déclarer l’aggravation du risque à son assureur sera examinée.  Elle s’inscrit dans le prolongement d’une autre obligation imposée par la loi à l’assuré : celle de déclarer correctement et entièrement le risque avant la souscription du contrat.

Quelques petites « notes » de théorie…

La loi du 4 avril 2014 relatives aux assurances (LRA), définit le contrat d’assurance comme un « contrat en vertu duquel, moyennant le paiement d’une prime fixe ou variable, une partie, l’assureur, s’engage envers une autre partie, le preneur d’assurance, à fournir une prestation stipulée dans le contrat au cas où surviendrait un événement incertain que, selon le cas, l’assuré ou le bénéficiaire, a intérêt à ne pas voir se réaliser » (art.5, 14°).

Le risque, élément essentiel du contrat d’assurance sans lequel le contrat ne pourrait exister, est un « événement incertain », susceptible de causer un dommage au patrimoine d’une personne ou d’affecter sa vie ou son intégrité physique, et que  cette personne a donc intérêt à ne pas voir se réaliser.

Ce risque, dans la logique assurantielle, doit répondre autant que possible à une loi de fréquence. Le taux de probabilité que le risque se réalise est fixé sur la base de règles de la statistique, tout comme l’est le coût moyen d’un sinistre ; quant au calcul de la prime, il se fait au moyen d’une fonction mathématique liée à la fréquence et à l’intensité du risque.

On comprend de la sorte pourquoi la déclaration du risque est fondamentale dans le mécanisme de l’assurance qui repose sur le partage ou la mutualisation des risques.

La déclaration du risque

Selon l’article 58 LRA, le preneur d’assurance doit, avant la conclusion du contrat, « déclarer exactement (…) toutes les circonstances connues de lui et qu’il doit raisonnablement considérer comme constituant pour l’assureur des éléments d’appréciation du risque. Toutefois, il ne doit pas déclarer à l’assureur les circonstances déjà connues de celui-ci ou que celui-ci devrait raisonnablement connaître. Les données génétiques ne peuvent pas être communiquées ».

Cette obligation est fondée sur le postulat que l’assureur ne connaît pas le risque et qu’il appartient en conséquence au preneur de le déclarer spontanément de manière complète et correcte ; dit autrement, il doit fournir à l’assureur l’ensemble des éléments qui lui permettront d’évaluer ce risque (dans sa fréquence et son intensité) et de fixer le montant de la prime.

L’aggravation du risque

Quant à l’aggravation du risque, l’article 81 de la même loi énonce que le preneur doit informer son assureur, en cours de contrat,  des « circonstances nouvelles ou [des] modifications de circonstance qui sont de nature à entraîner une aggravation sensible et durable du risque de survenance de l’événement assuré ».

Cette obligation s’applique à tous les contrats d’assurances terrestres, indépendamment de tout sinistre, qu’il s’agisse d’assurance dites de choses (l’assurance incendie et l’assurance vol, par exemple), d’assurance de responsabilité (les assurances RC automobile, privée, professionnelle…) ou de frais (telle que l’assurance de protection juridique), à l’exception des contrats d’assurance sur la vie, des assurances maladie et de l’assurance-crédit.

Le preneur doit déclarer l’aggravation du risque dans les mêmes conditions que celles prévues pour la déclaration initiale du risque c’est-à-dire en communiquant toutes les circonstances connues de lui et dont il doit raisonnablement savoir qu’elles ont une influence sur l’appréciation du risque.

Par contre, il ne doit pas déclarer ce que l’assureur connaissait ou était censé connaître.

La raison d’être de cette obligation demeure la même : puisque la prime d’assurance est calculée en fonction du risque à couvrir, si celui-ci s’aggrave, l’assureur doit pouvoir adapter le contrat.

Mais qu’entend-on par « aggravation sensible et durable du risque » ?

Il s’agit des « circonstances nouvelles ou (…) modifications de circonstance qui sont de nature à entraîner une aggravation (…) du risque de survenance de l’événement assuré » (art. 81 §1 al 1).

L’aggravation est considérée comme « sensible » si ce risque s’est aggravé « de telle sorte que, si l’aggravation avait existé au moment de la souscription, l’assureur n’aurait consenti l’assurance qu’à d’autres conditions », voire « n’aurait en aucun cas assuré le risque aggravé » (art. 81 §1 al 2).

Cette aggravation doit par ailleurs être « durable », c’est-à-dire se prolonger dans le temps. Une aggravation temporaire (telle que la pratique d’un sport dit dangereux un jour de congé) ne nécessitera pas une déclaration du risque auprès de l’assureur et une éventuelle adaptation du contrat.

Enfin, elle doit avoir une incidence sur la fréquence du risque et non pas sur l’amplitude du dommage : c’est le risque de « survenance de l’événement assuré » qui doit être aggravé et non l’augmentation pour l’assureur du coût d’un potentiel sinistre.

Par ailleurs, peu importe la cause ou l’origine de l’aggravation ; toute circonstance nouvelle, quelle qu’en soit la source, qui a une incidence sur la fréquence du risque, doit être déclarée.

Conséquences de l’aggravation du risque

Lorsque l’assureur a été informé d’une aggravation du risque, il doit, dans le délai d’un mois à compter du jour où il a eu connaissance de l’aggravation, proposer la modification du contrat avec effet rétroactif au jour de l’aggravation (art. 81 §1er al 2). 

S’il apporte la preuve qu’il n’aurait en aucun cas assuré le risque aggravé, il peut résilier le contrat dans le même délai (art. 81 §1er al 3).

S’il ne peut apporter la preuve qu’en aucun cas, il n’aurait assuré le risque aggravé, il doit proposer une modification du contrat. Le preneur est libre de l’accepter ou de la refuser. S’il la refuse ou ne réagit pas, l’assureur peut résilier le contrat dans les 15 jours (art. 81 §1er al 4).

Si l’assureur n’a pas proposé de modification du contrat ou ne l’a pas résilié dans les délais précités, il ne pourra plus se prévaloir de l’aggravation du risque par la suite (art. 81 §1er al 5).

Quid en cas de survenance d’un sinistre ?

Si le preneur a déclaré l’aggravation du risque, mais qu’un sinistre survient avant l’adaptation du contrat, l’assureur devra intervenir et le couvrir en totalité (art. 81 §2).

En revanche, si le sinistre survient sans que le preneur ait déclaré l’aggravation du risque, le législateur a prévu deux hypothèses :

  • Le défaut de déclaration ne peut pas lui être reproché[1] : alors, le sinistre est également couvert.
  • Le défaut de déclaration peut lui être reproché[2] : alors l’assureur ne devra intervenir que partiellement selon le rapport entre la prime payée et celle que l’assuré aurait dû payer si l’aggravation avait été prise en considération.[3] Mais si l’assureur apporte la preuve qu’il n’aurait en aucun cas assuré le risque aggravé, il sera uniquement tenu au remboursement des primes payées.

Enfin, s’il apparaît que le preneur n’a pas déclaré l’aggravation du risque dans une intention frauduleuse et qu’un sinistre survient, l’assureur est en droit de refuser sa garantie ; les primes échues jusqu’au moment où il a eu connaissance de la fraude lui restent dues à titre de dommages et intérêts (art. 81 §3).

Quelques exemples tirés de la jurisprudence

Si la LRA de 2014 impose de manière claire au preneur d’assurance une obligation de déclarer l’aggravation d’un risque, il n’est pas toujours aisé de déterminer, au quotidien, dans quelle mesure un risque est aggravé et s’il y a lieu de le déclarer à sa compagnie.

C’est à la lumière de quelques cas de jurisprudence que le lecteur pourra se faire une idée.

Ainsi, la Cour d’appel de Mons a considéré que l’obligation de déclaration des aggravations du risque en cours de contrat doit être appréciée de manière raisonnable. Aucun reproche ne peut être fait au preneur d’assurance qui ne déclare pas certaines circonstances s’il ignore raisonnablement qu’elles peuvent influencer l’appréciation du risque par l’assureur[4]. Cette même Cour a, inversement, considéré que constituait une aggravation durable du risque le fait qu’un immeuble servant d’habitation privée, assuré notamment contre le risque d’incendie, soit resté inoccupé pendant une longue période et ait été fréquenté occasionnellement la nuit pour des soirées libertines. L’assuré ne pouvait ignorer que son immeuble était davantage exposé au risque d’intrusion et de dégradation volontaire.[5]

En matière d’assurances RC automobile, le Tribunal de police de Gand a considéré qu’est constitutif d’une aggravation sensible du risque assuré le fait de conduire malgré une fracture du pied[6].

Selon le tribunal de police de Saint-Nicolas, l’obésité n’est pas nécessairement synonyme de mauvaise santé et ne constitue pas une aggravation du risque, à moins, pour l’assureur, de l’avoir expressément stipulé dans la demande ou la police d’assurance solde restant dû. Elle ne peut donc justifier en elle-même un refus d’indemnisation de la part de l’assureur.[7]

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Il n’est pas vain, pour conclure, d’en revenir aux fondamentaux : l’assurance est un mécanisme de mutualisation des risques qui, en cas de sinistre, permet de faire supporter par un assureur le coût des dommages qu’une victime a subis. On conçoit dès lors aisément qu’il faille, pour préserver l’esprit d’un tel système et son bon fonctionnement, permettre à l’assureur de disposer d’une description sincère du risque. Et qui le connaît le mieux, ce risque, sinon le preneur d’assurance ?

On attend donc de ce dernier qu’il soit clair et loyal envers l’assureur, tant au moment de la déclaration du risque qu’en cas d’aggravation de celui-ci. Dans quelles limites ? A la lumière du texte de l’article 58 LAR et de la jurisprudence, on peut en synthèse considérer que :

  • Il ne doit déclarer que ce qu’il connaît effectivement ;
  • Il ne doit pas déclarer des circonstances déjà connues de l’assureur ou que celui-ci devrait raisonnablement connaître ;
  • On ne peut reprocher à l’assuré de pas avoir communiqué des informations dont il ne pouvait raisonnablement concevoir qu’elles puissent présenter un intérêt pour l’assureur ;
  • On ne peut non plus lui faire grief de n’avoir pas déclaré ce que, pourtant, il aurait dû raisonnablement connaître.  

Mais au-delà, l’assuré se doit déclarer spontanément, pleinement, correctement et sans réserves, à son assureur, tant les caractéristiques initiales du risque que les éventuelles aggravations qui surviendraient en cours de contrat, sous peine de se voir refuser toute indemnisation !


[1] Est visée notamment l’hypothèse où le preneur ne pouvait raisonnablement savoir que le risque était aggravé.

[2] Le preneur a, par exemple, fait preuve de négligence ou d’imprudence et n’a pas déclaré l’aggravation du risque.

[3] Liège, 14 janvier 2002, RGAR, 2002, n° 13595.

[4] Mons, 14 novembre 2019, R.G.A.R. 2021, liv. 1, n° 15750.

[5] Mons, 10 novembre 2016, Bull. Ass. 2018, liv. 3,

[6] Pol. Gand, 29 avril 2004, J.P.P., 2004, liv.6, p. 290.

[7] J.P. St.-Nicolas, 4 juillet 2001, Annuaire juridique du crédit, 2001, p. 171.

Rédaction